Variations sur un confinement…

12 mai 2020

Variations sur un confinement…
PAR JACQUES SOULIÉ

En ces temps de CONFINEMENT – DECONFINEMENT, une occasion de parcourir les dictionnaires, ou encore de relire des textes éclairants de Jean-Pierre Richard…

La chambre de Proust…
…avec Jean-Pierre Richard

Le roman proustien glisse ainsi de chambre en chambre, il ne cesse de manifester le choix d’une sorte de claustration domestique, d’un enfermement, à la fois protecteur et créateur, d’une arche de Noé, comme le disait un texte de jeunesse, à partir de laquelle regarder et comprendre le monde. Vous savez que la biographie de Proust confirme bien ce choix. Nous connaissons, et encore mieux depuis les souvenirs publiés par Céleste Albaret, la gouvernante des dernières années, la pièce capitonnée, aux volets et rideaux toujours tirés, remplie par la fumée des fumigations, et où Proust, couché dans son lit, enseveli sous de multiples gilets et caleçons, ne se nourrissant que de quelques morceaux de sucre et quelques bols de café au lait, écrivit À la recherche du temps perdu.

…Deux éléments – c’est d’ailleurs un peu une vérité de La Palice – suffisent à fonder le lieu proustien : il a besoin, pour exister, d’une paroi, et d’un foyer. Le dedans proustien s’enclôt dans une paroi et se centre autour d’un ou de plusieurs foyers. C’est l’équilibre entre paroi et foyer qui constitue l’euphorie de la demeure, c’est la défaillance de l’un de ces deux termes, ou c’est leur mauvaise combinaison, qui provoque une maladie du lieu.

LA PAROI

Elle trace dans l’espace une limite essentielle, qui refoule un dehors dangereux, et qui intimise ou qui « embrasse » un dedans gratifiant et désirable.

Elle circonscrit une zone où je suis, ma demeure, et une autre où je ne suis pas, ou pas encore, et où il m’est peut-être défendu, ou, en tout cas, il va m’être difficile d’aller. Le mur est une frontière ; la ligne de distinction, mais aussi d’articulation de deux espaces jusque-là confondus .

La paroi chasse hors d’elle tout ce qui est tenu pour dangereux, tout ce qui relève aussi de l’inconnu.

Mais vous savez aussi que toute expérience passionnelle est marquée du signe de l’ambiguïté : ce dehors dangereux est en même temps un dehors attirant et désirable. Si la paroi le refoule en dehors d’elle, c’est peut-être dans la mesure même où il paraît trop attirant, trop désirable. 

La  paroi expulse, mais en même temps elle embrasse, elle étreint : elle mime le repliement, l’enveloppement d’un grand corps original et protecteur…

D’où une véritable étreinte de la paroi, qui aboutit à donner à l’espace intime un dynamisme, un tropisme particulier : une irrésistible tendance à converger vers un centre, à se diriger et résumer en un foyer.

LE FOYER

La paroi réclame un foyer vers lequel diriger sa pression. Foyer absolument nécessaire à la constitution du dedans ; il peut prendre des figures concrètes très diverses : 

Objets tels lits ou fauteuils
Foyers alimentaires
Feux et lumières
Fleurs…
C’est de cet aller-retour, de cette relation permanente d’échange, entre la paroi et le foyer, de cette réciprocité dynamique et  sensuelle entre nos deux éléments qu’est fait l’équilibre de la chambre.

MAIS existent des maladies de la demeure:
-insuffisance ou absence de foyer (manque comblé ou non par le baiser)
-paroi insuffisante, dissoute (source d’inquiétude) ou paroi excessive…

RICHARD Jean-Pierre, « Proust et la demeure », Littérature, 2011/4 (n°164), p. 83-92. DOI : 10.3917/litt.164.0083. URL : https://www.cairn.info/revue-litterature-2011-4-page-83.htm

Ces quelques extraits témoignent, me semble-t-il, du caractère particulièrement stimulant de l’approche critique proposée par Jean-Pierre Richard (1922-2019) – critique « thématique » dans la lignée de Gaston Bachelard.

 


 

Avec le Littré…
 
XVIe s. : Par degradation d’honneur, confiscation d’estat, de biens, et confinement que l’on appelle mort civile, Carloix, II, 6.
C’est une gehenne et lieu de tourments ou un confinement où les ames sont releguées, Amyot, De la tranq. d’âme, 39.
Fut condamné à mort, qui luy fut neantmoins eschangée par la douceur de l’empereur en un confinement de religion et monastere, Pasquier, Recherches, liv. II, p. 41, dans LACURNE.
 

Avec Le Robert Historique de la Langue Française…
 
Après une première attestation au sens de terrain “confiné” (1481), participe surtout de l’idée d’”enfermement”, d’abord dans le contexte pénal de l’emprisonnement (1579), puis dans celui de l’isolement d’un captif (XIXe s.). 

De nos jours, il indique surtout le fait d’enfermer et d’être enfermé dans ceratines limites, concrètes ou, surtout, abstraites.