La culture dite de « Tabbova-Maradanmaduva , l'un des mystères les plus intrigants de l'archéologie sri-lankaise

Par Dr Jacques Soulié et Janaka Samarakoon

Au cours du XXe siècle, une série de figurines et autres artefacts en terre cuite et ayant des similitudes formelles ont été découverts à différents endroits dans la partie centre-nord du Sri Lanka.

Il s’agit d’une zone recoupant les provinces Nord-ouest, Nord-centre et Centre du pays que l’on appelle communément la Zone sèche. Dans la communauté scientifique, ces objets sont considérés comme appartenant à la culture dite de « Tabbova-Maradanmaduva ». Le terme provient de deux sites parmi les plus anciens et les plus marquants où de tels objets ont été exhumés. Il s’agirait d’une culture parallèle — et demeurée obscure — à celle dominante du pays, la civilisation cinghalaise et bouddhique, qui, elle, reste très bien documentée.

L’établissement culturel Suriyakantha possède une collection d’objets issus de ces découvertes archéologiques, sans doute l’une des plus importantes collections privées de ces objets dans le pays. Si vous passez par Kandy, ce sera l’occasion de découvrir ces objets auréolés d’une aura mystérieuse — mystérieuse car même si, depuis maintenant un siècle, la communauté scientifique s’est intéressée à ces objets, bien des choses restent encore à préciser permettant d’en percer totalement le mystère.

Parmi ces objets, on trouve systématiquement et toujours en état fragmentaire, des figurines anthropomorphiques, des objets phalliques, des formes animales, des poteries et rarement des bas-reliefs.

Sur le plan formel, les figurines présentent, à quelques exceptions près, des formes sommairement modelées. Des reliefs — seins, nez, sourcils — sont obtenus à l’aide d’ajouts. Malgré l’apparente maladresse de l’exécution, certains objets sont pourvus de traces attestant l’attention donnée au détail, comme cette chevelure incisée que l’on voit sur l’une des figurines anthropomorphiques de la collection Suriyakantha ou autres détails de visage minutieusement exécutés. Le caractère brut de la plupart des objets renforce l’hypothèse selon laquelle ils seraient issus des arts et des traditions populaires. Même si aucune découverte ne permet à ce jour de clarifier leur fonction, il est communément admis qu’il s’agit d’objets cultuels issus de croyances « animistes ».

Il convient de rappeler que ces découvertes ont systématiquement été faites dans le voisinage des réservoirs d’eau, ces lacs artificiels qui sont la marque identitaire de la civilisation cinghalaise dans la partie septentrionale du pays où le rythme des pluies nécessitait un système de rétention. Par ailleurs, les objets ont été déposés à proximité des rizières.

Ces deux éléments soutiennent la thèse d’objets rituels destinés à rendre plus efficace l'approvisionnement en eau des cultures.

Enfin, les fouilles menées à ce jour permettent d’établir de façon quasi certaine que ces objets étaient enterrés après avoir délibérément été brisés, ce qui semble participer d’une fonction magique. Une tradition semblable persiste encore de nos jours au Sri Lanka sous forme d’un rituel invoquant les forces surnaturelles appelé « Gammaduwa » où des figurines, fabriquées pour l’occasion, sont brisées et enterrées au cours de la cérémonie.

La première découverte concernant ces terres cuites remonte à 1921 par l’archéologue anglais A.M. Hocart, à Puttalam. Elle a rapidement été suivie d’une autre, à Arippu, à l’ouest du pays, près de Mannar. Plus tard, le célèbre archéologue sri-lankais, P.E.P. Deraniyagala sera à l’origine de trois découvertes importantes, à Tabbova en 1940, à Maradammaduwa en 1953 et une troisième, en 1958, à Illukuva, près de Sigiriya.

Malgré la ressemblance formelle des objets mis en lumière à différents endroits du pays, il n’est pas été établi avec certitude un véritable lien entre eux, ni entre les aires culturelles correspondantes. Le caractère récent des fouilles stratigraphiques explique des décennies d’opinions divergentes quant à la datation. P.E.P. Deraniyagala avançait par exemple que les objets remonteraient aussi loin que 3 000 - 200 av. J.-C., les rattachant à une civilisation pré-bouddhiste.

Les fouilles stratigraphiques ont donc débuté dans les années 2000. Le Département d'archéologie de l’Université de Durham (Grande Bretagne) a en effet financé et supervisé d'importants travaux, placés sous la direction du Professeur Robin Coningham. C’est le projet intitulé « Anuradhapura (Sri Lanka) : The Hinterland (Phase II) ». Dans le cadre de cette campagne, une datation par luminescence stimulée optiquement (OSL) a été réalisée sur une variété de sédiments provenant du site de Nikawewa. L'examen établit enfin une datation absolue pour cette culture: le XIe siècle ap. J.-C., soit la fin de la période d'Anuradhapura, clôturant ainsi quelque quatre-vingt-cinq ans de débats autour de la datation. En outre, les données recueillies lors de cette étude ont eu le mérite d'établir que le corpus présente, malgré sa disparité géographique, un haut degré d'uniformité stylistique, favorisant la thèse d’une structure rituelle formalisée, parallèle donc à celle promulguée par l'establishment bouddhiste placé sous l’égide du roi.

Cependant, sans traces écrites notamment, la fonction de ces objets fascinants reste toujours incertaine, tout comme les rituels qui y étaient associées ou encore les bénéfices attendus. Dans les années à venir, l’avancée scientifique et de nouvelles découvertes permettront, nous l’espérons, de mettre en évidence ces aspects-là.

 


Bibliographie
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