Marie Gatellier, « Peintures murales du Sri Lanka. École kandyenne, XVIIIe-XIXe siècles », un compte-rendu par Liyanaratne Jinadasa

23 juin 2023

Marie Gatellier, « Peintures murales du Sri Lanka. École kandyenne, XVIIIe-XIXe siècles », un compte-rendu par Liyanaratne Jinadasa

« Peintures murales du Sri Lanka. Ecole kandyenne XVIIIe-XIXe siècles », rédigé par Marie Gatellier et publié en 1991 par l'École française d'Extrême-Orient reste, encore à ce jour, l’ouvrage le plus complet paru en français sur cette tradition picturale emblématique du Sri Lanka.

L’ouvrage est le fruit d’une colossale recherche que cette spécialiste des arts asiatiques a effectué dès le début des années 1970 en sillonnant l'île de long en large. La somme, qui se décline en deux tomes, présente quelque centaines d’illustrations, lesquelles sont minutieusement répertoriées avec de riches légendes, faisant de ce volume une inépuisable source documentaire.

À sa publication, le livre a fait l’objet d’une lecture critique de la part d’un autre spécialiste des arts asiatiques et du bouddhisme, Jinadasa Liyanaratne. Voici le compte-rendu que le maître de conférences à l'Institut national des langues et civilisations orientales et rédacteur à la revue « Culture » d'origine sri-lankaise a publiée en 1993 dans « Arts asiatiques », tome 48.

Le document, placé sous la licence « creative commons », est extrait de la base « Persée », l’Unité d’appui et de recherche (UAR), rattachée à l’ENS de Lyon et au CNRS et qui bénéficie du soutien du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.


 

Marie Gatellier, Peintures murales du Sri Lanka Ecole kandyenne XVIII-XIXe siècles

Vol. 1 -Texte, 266 p., vol. 2.
Planches, 152 p., 27,S X 18,S cm.
Publications de l'École Française d'Extrême-Orient, vol. 162, Paris, 1991.

Marie Gatellier (M.G.) traite, dans cet ouvrage, d'une partie significative du patrimoine culturel de Sri Lanka : les pein­tures qui constituent un art vivant en ce sens qu'elles répondent à la sensibilité non seulement esthétique mais encore spirituelle des Singhalais bouddhistes. M.G. I'exprime bien a la fin de son étude : « En alliant l'imagination et le charme au respect des traditions, elles assument pleinement leur destination première, didactique, celle de faire vivre aux yeux des fidèles l'Enseignement du Bouddha» (p. 244).

Cette remarque reflète également l'attitude de l'auteur vis-à-vis de son sujet, atti­tude d'un connaisseur, Sahrda (« avec cœur, avec sensibilité ») selon la poétique sanskrite. L'appréciation esthétique constitue la trame de l'étude entière. M.G. se fixe comme but « d'identifier et d' analyser, autant qu'il est possible, la plupart des thèmes figurés dans ces peintures et de mettre en valeur les principes directeurs et communs de leur iconographie » (p. 5).

Pour ce faire, elle a passé de longues années à Sri Lanka; après les premiers séjours en 1970 et en 1973, « trois longues missions en 1978, 1980 et 1984 », lui per­mirent « de sillonner une grande partie du territoire singhalais, de visiter systématiquement les moindres sanctuaires et de constituer une documentation de plus de 3000 photographies» (p. 5).

M.G. a effectivement fait une étude minutieuse. Les peintures exécutées aux endroits en retrait et même obscurs ne lui ont pas échappé. Par exemple, dans sa des­cription des peintures du Maharajalena (Dambulla), elle souligne que « l'exécution picturale est extrêmement fine et soignée malgré la hauteur et la position du support » (p. 81); ou encore, au même endroit, s'agissant de la scène de L'arrivée de Vijaya à Lamka, elle écrit : « En 1984, de longues

traînées sombres recouvraient en partie ces peintures qui, le lieu étant lui-même très sombre, ne pouvaient être étudiées sans le secours d'un éclairage portatif » (p. 201).

L'analyse des peintures est, de même, effectuée d'un œil observateur, perspicace. C'est un constat qui se dégage tout le long de I' ouvrage; ses observations sur la représentation de l'arbre dans ces peintures (p. 47-48) en sont un exemple éloquent.

M.G. s'appuie, à juste raison, sur les textes, notamment les Jataka et les histoires bouddhiques, pour l'identification et l'analyse iconographique de ces peintures. Néanmoins, M.G. ne semble pas, peut­ être, avoir toujours tiré le maximum de profit de la richesse des sources originales et secondaires qui pourraient être utilisées pour l'étude de la période kandyenne. Par exemple, pour cerner l'espace géographique des peintures kandyennes, M.G. se contente de dire qu' au cours des siècles, les frontières de I' uda-rata varieront, mais les cinq territoires de Singuruvana (sic), Balavita, Matala (sic), Dumbara et les trois Sagama demeureront toujours le coeur immuable du royaume kandyen (p. 17). En fait, comme ii est indiqué dans l'article sur l'uda rata de l'Encyclopédie singhalaise, au début du XIXe siècle, le royaume kandyen comprenait douze provinces (disa : Satara Korale, Sat Kora!e, Uva, Matale, Saparagamuva, Tun Korale, Valapane, Uda palata, Nuvarakalaviya, Vellassa, Bintanna et Tamankaduva) et neuf pays (rata : Udunu vara, Yatinuvara, Tumpane, Harispattuva, Dumbara, Hevahata, Kotmale, Uda Bulatgama et Pata Bulatgama). D'ailleurs, une partie importante du littoral était sous la domination du roi de Kandy, notamment de Rajasimha II (1629-1687), jusqu'au moment où Kirti Sri Rajasimha la céda aux Hollandais en 1766. Ces facteurs historiques et géographiques expliquent la présence des peintures de « l’école kan­dyenne » dans certaines régions du littoral, école pour laquelle M.G. a considéré deux styles : le « premier », comprenant les peintures des sanctuaires kandyens du XVIIIe siècle, et le « second », celles des sanctuaires du littoral Ouest du XXe siècle (p. 34).

S'agissant des traités techniques, si importants pour une étude de l'art kan­dyen, on doit remarquer l'absence d'une référence à la dissertation appréciable de Hans Ruelius : Sariputra und Alekhyalakana, Gôoottingen 1974.

Dans le cadre historique et religieux (p. 11-29), c'est avec raison que M.G. signale les relations sri-lankaises avec la Birmanie et la Thaïlande durant la période en question (M.G. se réfère aux peintures de ces pays a titre de comparaison p. 243-244. Siri Gunasinghe, à maintes reprises, a signale les ressemblances entre les peintures kandyennes et celles de Thaïlande). Pourtant, pour les deux missions envoyées par Vimaladharmasuriya II en Arakan dans le but de faire venir les moines boud­dhistes afin de rétablir I'upasampadd a Sri Lanka, le lecteur est renvoyé (p. 22) a une communication de 1941 (D. B. Jayatilaka, « Sinhalese Embassies to Arakan », JRASCB, vol. XXXV, 1941, p. 1-6) tandis qu'un article plus récent, apportant de nouveaux éléments relatifs à ces deux missions (P. E. E. Fernando, « The Rakk hanga-Sannas-Curnikava and the Date of the Arrival of Arakanese Monks in Ceylon», University of Ceylon Review, vol. 17, n°s 1 et 2, janvier-avril 1959, p. 41-46) est resté ignoré. II en est de même pour un document historique de valeur sur le sujet, document qui se trouve à Paris même (voir J. Liyanaratne « Notice sur une lettre royale singhalaise du XVIIIe siècle conservée au Musée de l'Homme a Paris»,BEFEO, tome LXXIII, 1984, p. 273-283).

Ou encore, sur le thème très répandu, des vingt-quatre, voire des vingt-huit, Buddha des Theravadin, M.G. passe sous silence la Jinabodhavali, poème écrit à l'époque sur ce sujet par l'auteur du Sad­ dharmdlarikdraya, pourtant cité longuement par M.G. elle-même (p. 186, 196). Dans I' edition princeps de ce poème (BEFEO, tome LXXII, 1983, p. 49-80), nous avons signalé l'appartenance au Mahayana du concept des Buddha du passé et son impact sur la royauté singhalaise.

La remarque de M.G. que l'intérêt de l'élite singhalaise pour la peinture kandyenne est « tout nouveau» (p. 5) n'est pas entièrement justifié. L. T. P. Manjusri, à lui seul, a écrit un nombre important d'articles sur ce sujet depuis le début des années 50. La bibliographie sélective de ses publications répertorie 155 publications en singhalais et 55 publications en anglais (Design elements from Sri Lankan temple paintings, Colombo 1977, p. 226-230). Parmi les Srilankais qui ont porté un intérêt scientifique à ces peintures, Manjusri merite d'etre particulierement signale car il a passé une bonne partie de sa vie, depuis la fin des années trente, dans les sanctuaires à travers tout le pays pour copier ces peintures murales et pour analyser leurs éléments artistiques. Peintre lui­-même et ancien moine bouddhiste, donc équipé de toutes les connaissances linguistiques, philosophiques et culturelles, il était tout désigné pour ce travail.

M.G., quant à elle, s'est trouvée confrontée à des difficultés linguistiques; il en résulte un certain nombre d'erreurs, dont voici quelques exemples : Andabhuta Jataka (p. 72 et passim) au lieu de Andhabhuta Jataka (anda = oeuf, andha = aveu­gle), Silvatenna (p. 56, erreur commise par Ananda K. Coomaraswamy lui-même) au lieu de Silvat tana (nom donné aux dis­ciples de Valivita Saranankara samanera, qui restaient fidèles aux règles de vinaya a cette époque de la décadence du clergé bouddhique), magin saka (p. 114) au lieu de Mahin[sa]saka (Mahimsasa), enuvara gahesi (p. 117) au lieu de lunuvarana [lunuvarana] gasehi (photo 25), Ambugala (p. 16) au lieu de Ambulugala, Karaliyadde (p. 19) au lieu de Karalliyadde ... « Sri, la déesse de la fortune et de la postérité » (p. 242) au lieu de « prospérité », est apparemment un lapsus.

Pourtant, les quelques imperfections de l'ouvrage ne retirent rien à sa valeur essentielle : c'est l'étude la plus approfondie sur le sujet, qui soit parue à ce jour.


Jinadasa Liyanaratne