L' « arbre de vie » dans la tradition picturale kandyenne

23 juin 2023

L' « arbre de vie » dans la tradition picturale kandyenne
Par Janaka Samarakoon
Dans la tradition chrétienne, l'Arbre de vie, que l'on peut placer dans l’Eden (« Maintenant, qu'il n'avance pas sa main et qu'il ne prenne pas aussi de l'arbre de vie, pour en manger et vivre éternellement - Gn 3, 23-24), s’assimile aussi à la Croix du Christ et symbolise, notamment dans le Livre de la Création (Gn 2, 9 ; Gn 3, 24), l’immortalité. Il se distingue clairement de l’autre arbre important du Livre,  « l'arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 3, 23-24).

Dans les traditions du sous-continent indien, le thème, connu sous l'appellation de Kalpavriksha (sanscrit), soit l’arbre « des âges », devient une entité « qui répond à tous les besoins ». Il est présent tour à tour, et sous diverses appellations, dans l'hindouisme, le jaïnisme, le sikhisme et enfin le bouddhisme. C’est la lecture bouddhique de ce thème que nous présentons dans notre collection. Pour les bouddhistes, qui placent l’arbre de vie dans le paradis, le leur, siège du dieu Sakra, situé sur le mont Meru (voir ci-dessous), l'arbre symbolise l’abondance.

Le motif est connu au Sri Lanka dès l’époque d’Anuradhapura, le plus ancien royaume du Sri Lanka fondé en 377 av. J.-C. et qui perdure jusqu'au XIe siècle. Dans la région septentrionale du pays, siège donc du royaume, il reste des représentations sculptées de ce thème, notamment sous forme de chapiteaux historiés. On voit ainsi la représentation d’un arbre, entrelacé de figures humaines ou animales, souvent en paires. Deux représentations en peinture murale datant de cette même époque restent visibles, quoique en très mauvais état de conservation, dans le temple Vessagiriya et dans une grotte de Sigiriya. Selon certains chercheurs, tous deux auraient été exécutés au cours du Ve siècle par le même atelier. C’est le style « classique » de la tradition picturale cinghalaise qui trouva son développement le plus abouti dans les fresques de Sigiriya (Ve siècle ap. J.-C.).

Le Mahavamsa, ou la « Grande chronique », écrit à partir du Ve siècle ap. J.-C. et qui méticuleusement documente l'histoire du Sri Lanka, évoque cette représentation à deux reprises, observables, selon le livre, au sein du complexe palatial du roi Parakramabahu I. Nous sommes au XIIe siècle, à l’époque de Polonnaruwa, le royaume qui succéda immédiatement à Anuradhapura. Selon cette description, il s’agirait d’un arbre doté d’un tronc doré et d’une généreuse envergure qui abrite divers animaux et oiseaux. Il est intéressant de noter que la description textuelle dont en fait le Mahavamsa est très proche des représentations picturales de l’époque kandienne que l'on peut observer aujourd'hui. A l’ère kandyenne, l’Arbre de vie devient un motif récurrent pour orner les plafonds des sanctuaires.

Selon les représentations de l’ère kandyenne, l’arbre jaillit du mont Meru, la montagne sacrée à cinq pics déjà évoquée et également connue comme Sumeru, Sineru ou Mahāmeru. Elle est considérée, dans les cosmologies hindoue, jaïne et bouddhiste, comme le centre de tous les univers physiques, métaphysiques et spirituels.

Une sorte d’Arche de Noé, abritant tous les éléments « vivants » — la faune et la flore — de l’univers, la lecture « kandyenne » de ce thème, avec son aire idyllique, nous semble assez proche de l’idée que la tradition chrétienne se fait du jardin d’Eden. D’où une tentation d’y voir l’influence de l’art occidental, d’autant que, dès le début du XVIe siècle, l’île va subir trois vagues de colonisation créant une société hybride façonnée d’un étonnant syncrétisme culturel. Par ailleurs, le naturalisme avec lequel les animaux et les éléments végétaux sont traités, sans compter le fond blanc laissé vide, demeure assez éloigné des préceptes de l'école kandyenne et nous conforte davantage dans cette supposition.