Ecritures vagabondes 3 : « La Féerie cinghalaise - Ceylan avec les Anglais », Francis de Croisset (1928)

03 mars 2023

Ecritures vagabondes 3 : « La Féerie cinghalaise - Ceylan avec les Anglais », Francis de Croisset (1928)

Dans le cadre d'un nouveau partenariat avec « GéoLitt - écritures vagabondes », nous publions, à un rythme hebdomadaire, une série de textes historiques écrits par des écrivains-voyageurs sur le Sri Lanka.

Francis de Croisset (1877-1937) est un dramaturge et librettiste français d'origine belge. Élégant, brillant et mondain, il inspire à Marcel Proust la métamorphose de Bloch en Jacques du Rozier dans À la recherche du temps perdu.

La Féerie cinghalaise - Ceylan avec les Anglais 

Auteur: Francis de Croisset (1877-1937)
Editeur: Ph. Montchanin
Année de publication: 1928
Publié à: Paris

« À l'approche de la cinquantaine, Francis de Croisset réalise un vieux rêve : confronter une île fantasmée à sa réalité. Les opérettes et les comédies qui ont fait son succès à Paris avaient souvent comme argument ce monde indien inconnu. Ceylan, colonie britannique au sud-est de l'Inde, se révèle d'une richesse étonnante par son histoire et sa nature profuse. Les temples millénaires du centre, les éléphants en liberté ou les fleurs et les fruits qui poussent sans entrave le réjouissent. Accompagné par des représentants parfois collants de sa Gracieuse Majesté, en se moquant de leur inimitable accent français, le voyageur curieux nous offre ici de vivantes descriptions pleines d'un humour inattendu. Ce joyau de l'océan Indien, encore mal connu des Français, y gagne sous sa plume authenticité et hommage à sa beauté. »

- Quatrième de couverture de l'édition « Magellan & Cie » paru en 2019

 

Ces beaux escaliers ont, à travers les siècles, conservé leurs stèles protectrices. Sculptées, elles représentent des gardiens du temple. Sous le dais du cobra à sept têtes, ils nous surveillent de leurs yeux millénaires.

Une large pierre de lune précède les marches et leur sert de parvis. Sur l’immense dalle court la frise rituelle avec ses éléphants aux trompes dressées, ses chevaux paisibles et ses vols d’oies sacrées.

Lentement, je gravis les degrés. Face au couchant, un Bouddha les domine, assis les coudes au corps, les mains sur les genoux. Ses épaules polies accrochent la lumière du soir, et ses yeux, dans un pur visage impassible, suivent un songe hermétique à l’abri des paupières fermées.

Enroulé à son cou, un immense et lourd collier rutile et, comme nous approchons, bouge, glisse le long des genoux de granit, et disparaît silencieusement dans la brousse. 

« Python », me dit mon guide, qui me happe le bras.

Je vois à présent que les murs du sanctuaire, les perrons, les parvis, sont tous gravés de fresques où grimacent des gnomes hilares et ventrus, et des lions aux crinières bouclées. Le sanctuaire lui-même a dis- paru, pulvérisé, et un arbre a jailli, unique, mais formidable: c'est un figuier d'Adam, où crie et gambade la tribu sacrilège des singes. Combien, en ce moment, leurs bruits et leurs bonds m'importunent! Dans le soir gaufré d'or, que bleuit déjà la lune, je m'assieds sur un fût de colonne et frappé, d'une canne roman- tique, l'herbe épineuse qui rend un son de granit. Nostalgie exaltante des ruines!